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Chapitre 9

Automates et Organismes Conscients




Pour définir l'homme et n'importe quelle autre entité vivante à travers le prisme des sciences contemporaines de la nature comme à travers celui des sciences socio-humaines, il est nécessaire d'établir une classification des objets structuraux et structuraux-phénoménologiques selon que leur comportement soit automatique ou non. Justifiée avec plus de rigueur par la théorie classique des automates, une telle classification, prolongée par l'apparition de l'intelligence artificielle et compte tenu de l'hypothèse du phénoménologique informatériel, aboutit aux types d'objets suivants:

L'automate syntactique est l'automate classique, dont s'occupe une vaste littérature mathématique et informatique. C'est celui qui fonctionne sans comprendre ce qu'il fait.
L'automatesémantique a comme prototype l'intelligence artificielle,puisque c'est un automate qui "comprend", il est vrai qu'il ne possède qu'une compréhension formelle, au sein de contextes particuliers, par référence à ceux-ci.
Un organisme simple, dépourvu de système nerveux, comme une cellule, ou même un organisme multicellulaire, considéré abstraitement, contient un automate structural du type syntactique auquel s'ajoutent des phénomènes de significations phénoménologiques, car il existe une interdépendance entre le structural et le phénoménologique chez les êtres vivants. Un organisme simple est aussi, globalement, un objet sémantique, mais son caractère sémantique ne s'élève pas à la hauteur de l'intelligence. Pourtant, il dépasse l'automate syntactique.
Un organismedoté de psychisme et pourvu de système nerveux contientun automate structural sémantique auquel s'ajoutent, évidemmentdes phénomènes de signification phénoménologique.Par son automate sémantique un tel organisme est plus oumoins intelligent, selon le développement du systèmenerveux.
L'interaction structurale-phénoménologique y est beaucoup plus développée, elle implique aussi le couplage entre l'informationnel structural et l'informationnel phénoménologique. Nous appelons une "intelligence artificielle vivante" un organisme avec conscience, en fait l'homme.
Enfin, l'organisme conscient social est une multitude d'organismes conscients exerçant une interaction de groupe.

Face à tous ces objets physico-informationnels, une question se pose: lequel, parmi eux, fait de la science? Ce qui est intéressant, c'est que les automates sémantiques peuvent faire de la science, dans certaines limites. Un système expert accumule de la connaissance, résout des problèmes, peut même interroger la réalité si on lui attache les instruments scientifiques nécessaires, peut aussi poser des questions à ses partenaires dans le but de compléter ses connaissances. Un système expert évolué aura donc une forme de conscience, structurale. Il fera de la science mais seulement dans le cadre de paradigmes donnés car il n'a ni intuition, ni aptitude créative pour modifier les paradigmes, même si parfois, par des heuristiques structurales, il peut trouver des voies nouvelles pour interroger la réalité; toujours est-il que ces voies nouvelles ne marqueraient pas un saut, une révolution des paradigmes, encore moins feraient-elles une révolution de la science.

Du fait que l'homme fait de la science et possède une conscience, nous allons étudier l'hypothèse que seuls les objets ayant une conscience font de la science. C'est en effet la conscience, sous toutes ses formes, structurale et structurale-phénoménologique, individuelle et sociale, qui, en tout premier lieu, s'occupe de science. La conscience structurale des automates sémantique est artificielle et inanimée. La conscience structurale-phénoménologique naturelle est une conscience vivante. Il n'y a que la conscience vivante qui puisse assurer le progrès de la science, changer les paradigmes, ou même causer des révolutions dans la science. Car, en dernière instance, la science est une activité de l'esprit. Puisque, sans processus phénoménologique, l'esprit n'existe pas, il s'en suit que la tendance manifestée par l'esprit vers la science reflète les tendances du devenir en tant que lois de la matière phénoménologique. En toute dernière instance, l'esprit se dirige vers la science à cause des lois tendancielles du devenir de la matière et non par suite des lois qui gouvernent l'univers où il se trouve. L'esprit cherche à découvrir ces lois et ce qui se cache sous ces lois, ce jusqu'aux tendances primordiales de la matière.

On constate cependant, un certain manque d'enthousiasme quant au respect de la tendance vers la connaissance. Au fait, pourquoi nous occupons-nous de science? Ce n'est pas parce que nous sommes conscients des tendances du devenir (on ne le devient qu'assez tard dans l'histoire), mais pour des raisons beaucoup plus immédiates: pour chercher la vérité et pour répondre à cette vocation existentielle de découvrir les mystères du monde, ensuite pour diverses raisons, socio-économiques, de progrès, de survie. La vérité, comme motivation de la tendance vers la connaissance, est liée au fonctionnement intime du raisonnement humain. Bien que ce qui caractérise l'activité mentale de l'être humain soit sa grande disponibilité informationnelle et le fait qu'il éprouve le besoin de compléter son information, une structure purement physique ne lui suffisant pas pour mener une existence correspondant à sa qualité d'être humain, il y a tout de même dans sa pensée une série de principes, de points de départ informationnels de la conscience vivante autour desquels se tisse toute l'activité de l'esprit. Parmi ces points de départ soulignons le mode de constitution de la conscience dans le cerveau, siège de la pensée, et le fonctionnement de la pensée à l'intérieur d'une vérité primordiale. On peut aussi parler d'une expérimentation philosophique de la vérité liée à la constitution de la conscience. Ce fonctionnement fait de cette vérité une motivation permanente, qui tourne autour de cette vérité même si l'homme s'en écarte parfois consciemment ou cherche d'autres vérités relatives, ou partielles qu'il accepte le temps d'une vie. Ce fonctionnement crée un état de tension inhérente à l'activité mentale, nommée tension philosophique, imposant un mode adéquat de vie spirituelle.

Le caractère rationnel de l'esprit, qui rend possible l'acte de faire de la science, se concentre autour du processus mental primaire de la constatation de la vérité où la réalité vécue et la réalité pensée sont une seule et même chose, où elles forment une unité théorique et expérimentale embryonnaire, l'esprit se trouvant en un tel moment "dans le vrai", sans éprouver le doute et sans pouvoir séparer la théorie de l'expérimentation. Mais dès que l'esprit ne tourne plus autour de la vérité primaire, dès qu'il cesse de réfléchir à ce qui l'environne, y compris à lui-même, en tant qu'objet du réel, alors les deux réalités, vécue et pensée, deviennent deux entités séparées. C'est à ce moment-là que l'esprit s'engage sur le long chemin de "l'acte de science" qui consiste à ramener côte à côte la pensée et les faits du monde, refaire leur unité primaire au sein d'une unité neuve, construite avec effort, longuement, patiemment, au fil d'innombrables générations, tantôt la pensée prenant de l'avance, tantôt les faits devançant la pensée, mais sans jamais renoncer à chercher leur correspondance implicite directement issue de la nature même de l'esprit.

Dans l'acte de science c'est la raison qui est l'instrument principal, mais l'acte de science peut se produire aussi par l'intellect qui n'est que structural, c'est le cas de l'intelligence artificielle. La science faite avec conscience est subordonnée à celle qui est faite avec la raison.

L'intelligence artificielle n'est que structurale, elle est donc dépourvue de conscience. Si elle voulait aborder un domaine nouveau, que nul autre système d'intelligence artificielle n'a encore jamais abordé, il faudrait qu'elle puisse représenter les connaissances relatives à ce nouveau domaine. Chose qu'elle ne peut faire sans l'apport de l'homme, doté de raison et de créativité. L'homme lui offrira une représentation des connaissances qu'elle ne peut trouver à elle seule, et seulement après cela l'intelligence artificielle structurale peut entrer en action. Ainsi, seul un organisme conscient doté de conscience vivante peut trouver la voie vers les grandes vérités de la connaissance.

Quels sont les moyens pour accomplir l'acte de science? C'est la philosophie de la science qui s'en occupe, l'épistémologie. Il est évident que l'épistémologie sollicite toutes nos capacités intellectuelles: raison, intellect, sentiment, expérimentation, mathématiques, formalisation informatique, organisation à l'échelle sociale, coopération et compétition entre les scientifiques, ce dernier moyen constituant aussi un facteur de civilisation socio-humaine. En plus, l'évaluation incessante des effets sociaux et humains des nouvelles découvertes mettra en valeur les conditions les plus propices pour que la science soit toujours au service de l'homme et de la société. En même temps que la science, l'homme lui-même évoluera, s'éloignant de son image par trop structurale, non pour s'en détacher, mais au contraire pour la mieux comprendre.


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