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Section 3.4

Principe de l'universalité ontologique de l'information
principe (IV)




Pour une science structurale fondée sur la physique, la notion d'information n'est pas fondamentale. L'information n'est pas apparue dans le domaine de la physique comme notion fondamentale parce qu'elle n'a pu être traitée en tant que grandeur incorporelle de l'arsenal de notions primaires de la physique. L'information ne paraissait même pas être une grandeur. Il a fallu que Claude Shannon [1948] introduise une évaluation mathématique quantitative en partant des propriétés probabilistes d'une source de signal, une information qui devait être transmise par un canal de communication, puis réceptionnée, mesurable en bits, pour qu'on accepte l'information comme un phénomène certainement scientifique. Dans la science de l'information, c'était sans aucun doute un pas important puisque l'on avait enfin obtenu une grandeur pour l'information. Mais l'information shannonienne n'est en fait que la mesure de la régularité d'une source de signal mise en évidence la formule de l'entropie


pi est la probabilité d'apparition d'un signal i dans un ensemble donné par k signaux. Cetteentropie, dont la forme rappelle l'entropie physique (Boltzmann,Gibbs), fut dénommée quantité d'information. Il est vrai que Shannon avait dit que d'une certaine façon l'entropie de la source est une mesure de l'information de celle-ci, mais, au fond, il a compris et du reste précisé que cette information n'est utilisable que dans le processus de communication et non dans le processus d'intercommunication de deux unités se servant du contenu sémantique de l'information. L'information shannonienne étant initialement définie par rapport à un processus technique de communication, elle n'est donc pas une information inhérente à la matière, à la nature, à l'esprit.

L'information des ordinateurs et l'information algorithmique sont représentées par un nombre de bits binaires (0 ou1) et peuvent être considérées comme une façond'envisager les états d'une structure physique; l'information n'est donc qu'une notion dérivée, une façon de regarder les choses en rapport avec certains systèmesphysiques.

Avec l'apparition de l'intelligence artificielle, un changement radical est intervenu: l'information des ordinateurs peut être aussi messagère de signification, elle peut donc être sémantique. L'information structurale est passée d'une sémantique quantitative à une sémantique qualitative. Mais cette nouvelle sémantique provient de celle du cerveau humain et c'est ici qu'en premier lieu il convient de chercher l'essence de la notion d'information. Envisagé comme un dispositif strictement structural, le cerveau ne saurait être distingué d'un ordinateur, l'information n'étant en pareil cas, tout comme auparavant, qu'une structure physique.

Dans le contexte d'une science structurale, l'information ne peut être un phénomène primaire, mais dérivé, secondaire, n'ayant pas de source "origine". Il est vrai que grâce à la biologie, la science structurale admet l'information comme notion importante mais, de toute façon, comme une information structurale dérivée de structures physiques, comme c'est le cas des molécules informationnelles d'ADN et ARN de la cellule.
A l'intérieur de la science structurale, où la notion d'information est considérée comme dérivée des notions fondamentales de la physique, s'est développé avec le temps une science de l'information qui peut être vue comme analogue à la chimie puisque les phénomènes chimiques dérivent aussi de processus physiques. C'est l'apparition de cette science, l'informatique, qui a fait changer les choses, notamment à partir du moment où, à l'intérieur même de l'informatique, commença à se développer l'intelligence artificielle structurale. Comme on le sait, celle-ci se rapporte à l'esprit humain. Cependant, l'esprit humain n'a pu et ne peut être expliqué par la science structurale qui considère comme inexplicable l'apparition des phénomènes de compréhension dans le cerveau. En effet, si la compréhension ne correspondait qu'à des structures physiques, comment expliquer les phénomènes de conscience qui, pour n'importe quel humain, sont tellement réels et évidents? Le fait est que la conscience ne saurait être niée, ni expliquée par la science structurale. L'esprit humain a une partie structurale, explicable, à laquelle s'ajoute la conscience qui est inexplicable, mystérieuse et, d'après Noam Chomsky [1980], ne pourra jamais être comprise par la raison. Il est bien vrai qu'au niveau actuel de connaissance de la science structurale, rien d'autre ne peut être affirmé.

Inversement, pour la science structurale-phénoménologique, la compréhension a un caractère phénoménologique: elle se produit dans la composante informatérielle du cerveau. La reconnaissance expérimentale de la compréhension, par quiconque l'examine introspectivement, est suffisante comme preuve de son existence. Il n'est pas question de la mesurer quantitativement tant que par sa nature même elle représente un phénomène qualitatif basé sur un processus phénoménologique. Si l'expérimentation prouve son existence et si elle n'est pas structurale, alors c'est qu'elle prend naissance sur un support matériel aux propriétés informatérielles. Et si, d'autre part, la matière profonde et l'informatière "mentale" ne font pas de doute, alors la seule question possible du point de vue scientifique est de savoir si, oui ou non, l'informatière est une composante de la matière profonde ou bien une réalité de la substance structurale de l'univers? Comme tout doit provenir de la matière profonde, alors l'informatière "mentale" doit elle aussi provenir de la matière profonde. Mais, en vertu du principe de la raison suffisante, on est amené à ne considérer qu'une informatière unique, à la fois composant la matière profonde et présente dans les organismes vivants de l'univers. Ce point de vue peut être tenu pour un postulat.

La matière profonde ayant, par l'informatière, des propriétés informationnelles phénoménologiques, elle assure aux organismes et à l'esprit des facultés sémantiques. Celles-ci, reliées aux structures mentales, transforment ces dernières en symboles de sens, en messagères de sens. Les significations dont sont chargées les relations de telles structures peuvent être transférées aussi aux structures de l'intelligence artificielle. Si l'on peut parler de la sémantique des structures informationnelles, c'est qu'en dernière instance elle est due à une sémantique phénoménologique. D'où les deux propositions suivantes:

  1. toute information structurale chargée de sens s'appuie sur, ou vise, une signification phénoménologique;

  2. toute information structurale provient directement, ou indirectement, d'une information phénoménologique.

Le concept d'information ne peut constituer une notion fondamentale de la science sans le postulat de l'information phénoménologique. Comme, d'autre part, toute information phénoménologique présente dans la matière profonde devient aussi partie de n'importe quelle substance de l'univers par les phénomènes informationnels qui se trouvent à la base des particules élémentaires, cela veut dire qu'il n'existe pas de matière sans information. De là le principe de l'universalité ontologique de l'information:

Une théorie générale de l'information n'est possible que dans le cadre d'une science structurale-phénoménologique.

(principe IV, a)

C'est dans un pareil contexte que l'information acquiert le poids d'une notion fondamentale de la science. Mais, elle se présente différemment, suivant la nature des objets qui la possèdent ou se la communiquent mutuellement.

Au niveau de la matière profonde, l'information phénoménologique joue un rôle primordial. Dans cette situation, il n'y a ni forces, ni processus mécaniques. La matière profonde n'est pas mécanique, c'est-à-dire qu'elle n'est ni électrique, ni magnétique, ni nucléaire ou gravitationnelle. Ses propriétés ne peuvent être déterminées par la mesure de forces. Aussi, la science doit-elle admettre des expérimentations indirectes pour acquérir une connaissance de la matière profonde. A cause de l'informatière, il se produit également dans la matière profonde des phénomènes qui n'obéissent pas à des lois formelles, logiques ou mathématiques, il s'ensuit que la science doit admettre aussi l'informel comme faisant partie de la réalité et, en conséquence, elle doit essayer de le décrire.

Bien que dépourvue en soi de conscience et d'intelligence, l'informatière peut cependant, par des phénomènes physiques de fluctuation, engendrer des phénomènes informationnels qui, couplés à l'orthomatière, sont aptes à déterminer un univers physique dont les lois, initialement engendrées de manière informelle, deviennent ultérieurement des lois formelles. L'informatière des organismes vivants de l'univers conserve ses propriétés informelles, chose qui explique pourquoi les organismes sont des structures partiellement formelles et automatiques, et partiellement informelles, avec des facultés créatives qui proviennent en grande mesure de l'informel. Le phénoménologique informel devra ainsi être reconnu comme un processus objectif puisqu'il est l'expression physique et informationnelle de l'informatière.

En dehors d'un ordre primordial en apparence fort simple, mais riche en possibilités (le phénomène informationnel exister et le chronos), l'information phénoménologique engendre par fluctuation dans l'informatière une famille de phénomènes informationnels qui constitue pour ainsi dire une harmonie transposée dans l'harmonie d'un univers physique. Que de choses harmonieuses ne crée donc pas l'esprit humain ?

Comment imaginer ou concevoir le modèle des phénomènes informationnels de l'informatière ? Une première idée serait "la cellule informatérielle", c'est à dire une multitude de cellules définissant une multiplicité qui provient de l'unité profonde. Bien que n'étant pas au sein de l'espace, ces cellules, à cause de leurs phénomènes informationnels topologiques, créent un espace qui peut être défini. Chaque cellule informatérielle, chaque quantum d'espace, chaque particule élémentaire est le siège d'un processus phénoménologique contraint par son origine dans l'orthomatière. Mais cette contrainte n'est pas absolue étant donné le mouvement des particules au sein de l'espace. Un organisme vivant est aussi le siège d'un processus phénoménologique, peut-être même d'une organisation de ceux-ci; mais, dans ce cas, il s'agit d'un phénomène qui échappe à la contrainte imposée par l'orthomatière et qui, de ce fait, dispose d'une liberté beaucoup plus grande.

Un phénomène informationnel, en le décrivant à l'aide d'une analogie spatiale, pourrait être vu comme une sorte de vibration de la cellule informatérielle, avec cette différence que cette cellule n'a pas de dimensions: ni finies, ni infinies, ni nulles, elle peut être considérée comme ayant n'importe laquelle de ces dimensions. On pourrait alors appeler un phénomène informationnel une vibration informatérielle. De toute façon, on ne saurait exclure le fait qu'il est possible que, dans des conditions spéciales, de telles vibrations se transmettent d'une cellule informatérielle à une autre, de sorte que l'on peut admettre l'existence de signaux phénoménologiques dans l'informatière. Le signal phénoménologique a comme support physique l'informatière et il est phénomène informationnel. Sa caractéristique est la signification phénoménologique qu'il transmet. Il est évident que, vu l'absence d'espace informatériel, le problème de la vitesse de transmission ne se pose pas: à un observateur de l'univers elle apparaîtrait comme infinie. Cette vibration doit néanmoins bien se produire dans un cadre temporel associé à la matière profonde. Nous appelons chronos ce cadre temporel. Le chronos ne saurait être conçu comme une excitation de certains modes de vibration car il ne se produit pas de transmission d'énergie à un volume qui puisse vibrer, ni même à un volume indéfini. Le chronos est un auto-phénomène de l'informatière. Si on l'envisageait comme une vibration informatérielle, on ne pourrait plus établir de distinction entre le phénomène informationnel "exister" et le "chronos", c'est à dire que le phénomène informationnel "exister" agirait en tant que "chronos". Le résultat serait l'obtention d'une certaine réduction supplémentaire des principes primordiaux de la matière, le chronos ne faisant plus, dans ce cas, qu'un avec le phénomène informationnel "exister" dont il deviendrait une propriété à côté de la capacité informationnelle.

Dans le cas de l'informatière libre de toute contrainte, certains processus phénoménologiques apparaissent à chaque rythme du chronos. Quand il y a couplage avec l'orthomatière, ce sont des univers nouveaux apparaissent, si simples et élémentaires soient-ils. Mais, quand il n'y a pas de couplage avec l'orthomatière, que représentent de tels processus phénoménologiques? Nous les verrons comme des "lueurs de conscience". Lueurs parce qu'elles ne peuvent durer sans l'appui de structures, ce qui fait qu'elles durent le temps d'un rythme du chronos, mais aussi, conscience parce qu'un processus phénoménologique pourrait, par hasard, être similaire au processus phénoménologique se produisant dans un esprit humain conscient. Si cette hypothèse est valable, ne serait-il pas alors possible que de semblables lueurs aléatoires, plus ou moins riches en informations phénoménologiques, engendrent des signaux phénoménologiques transmissibles à des processus phénoménologiques, par exemple les signaux visant des organismes vivants? Il n'est pas exclu que de pareils signaux phénoménologiques jouent certain rôle dans l'évolution de quelques organismes, ainsi que dans l'évolution culturelle de l'homme.
D'autre part, le processus phénoménologique d'un organisme vivant, et tout particulièrement de l'esprit humain doit présenter un certaine correspondance avec les structures de l'organisme, plus particulièrement celles du cerveau, il est donc semi-contraint; mais tout autant il peut agir "à son propre compte", parce que dans l'informatière non couplée avec l'orthomatière peuvent en permanence apparaître des significations nouvelles. Celles-ci ne sont toutefois retenues par l'organisme, ou par l'esprit, que si des structures leur correspondant prennent naissance et se fixent. On pourrait cependant se demander si jamais les significations existantes, et ayant déjà une correspondance dans des structures, n'interviennent pas dans les processus phénoménologiques de l'informatière de manière à influencer par leur présence les significations qui devraient être engendrées? Autrement dit s'il ne s'agit pas en quelque sorte d'une opération informationnelle de type phénoménologique? Le modèle vibratoire des significations semble permettre pareille possibilité, avec cette différence que l'opération phénoménologique aura donc un caractère informel, le résultat de l'opération étant créateur, imprévu et indépendant de toute règle connue d'avance.

L'organisme vivant comporte une "collaboration" et un "jeu" structural-phénoménologique. Le couplage structure-informatière est totalement différent du couplage orthomatière-informatière. La structure est substance dans l'univers, tandis que l'informatière profonde se présente dans l'univers, selon le modèle orthophysique, sous la forme de quanta d'espace incomplet, n'ayant pas l'orthomatière couplée à l'informatière, et se distinguant des autres quanta par leur aspect informatériel, c'est à dire par leur capacité à être capté par certaines structures physiques. Si ces dernières offrent la possibilité d'un couplage structural-phénoménologique, alors elles deviennent des organismes. Les acides nucléiques d'ADN et d'ARN sont de pareilles structures.


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