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Section 3.5

Principe de l'universalité ontologique de l'énergie
principe (V)




Comme nous l'avons déjà souligné, le notion d'information commença à devenir concept scientifique au début de ce siècle, tandis que celle d'énergie s'affirma comme un concept rigoureux de la science dès le XIXème siècle. L'idée que lors de la transformation d'une forme de mouvement en une autre il existe tout de même quelque chose qui se conserve devint évidente avec les ouvrages de Robert Mayer, James Prescott Joule et Hermann Helmholtz, après que Liebig et Mohr (cf. [Mason, 1953]) aient eu une intuition initiale de ces problèmes. Les trois premiers savants sont en effet considérés comme formant la triade des pionniers du principe de la conservation d'énergie.

Médecin de par sa profession, Robert Mayer partit de phénomènes biologiques et physiologiques pour arriver à conclure que "les forces" (c'est à dire, les énergies) chimiques des muscles animaux et les forces caloriques et mécaniques sont équivalentes et convertibles réciproquement. La notion scientifique d'énergie n'étant pas encore apparue à l'époque de R. Mayer (1814-1878), celui-ci considérait (dans un ouvrage daté 1841 et refusé pour publication par une revue scientifique) que, dans le cas du mouvement mécanique, intervient une sorte de force égale à mv (m: la masse; v: la vitesse). En 1842, cette fois dans un article publié, Mayer considère la "force" comme étant mv2, au lieu de l'énergie cinétique ½ mv2; enfin, dans un autre article de 1845, Mayer affirme que le principe de la conservation de la force est le principe suprême de la nature. Pour lui, ex nihilo nil, la force (l'énergie) ne se crée pas, elle se transforme seulement; en tous processus, la force demeure constante. Fait intéressant, Leibniz accorda de l'attention à l'expression mv2 pour mesurer la force ou l'effet de la force comme le signale W. Ostwald[1910].
Joule (1818-1889), en 1840, formule la loi qui porte son nom concernant les effets thermiques du courant électrique et, en 1843, détermine l'équivalent mécanique de la calorie. Pour commencer, on n'accorda pas d'importance à cette grande performance expérimentale, la Royal Society allant même jusqu'à lui refuser la publication de deux de ses articles. Joule considère la chaleur comme étant la même chose qu'une forme de force mécanique, mais il démontre aussi la transformation de l'énergie mécanique en chaleur.
Hermann Helmholtz (1821-1894) formule à son tour, en 1847 le principe de la conservation de la force en montrant que les animaux obtiennent leur énergie des aliments, l'énergie chimique de ces derniers se transformant en mouvement mécanique et chaleur. Pour Helmholtz, l'énergie totale de l'univers est constante et peut être réduite à sa forme mécanique. Pour lui, il n'y a pas de matière sans énergie, matière et énergie étant des termes inséparables.
Le terme d'énergie s'est imposé grâce à Marcquorne Rankine qui, en 1855, publie l'esquisse d'une science de l'énergie [Ostwald, 1910].
William Thomson (Lord Kelvin, 1824-1907) eut aussi un rôle important dans l'émergence de la notion d'énergie. En 1847, il souligne l'importance des travaux de Joule, et en 1854 il propose l'échelle absolue des températures ("l'échelle Kelvin"). Par ses travaux, l'énergie devient une notion de toute première importance dans la conception physique sur la nature.

Durant la deuxième moitié du siècle dernier il devint évident que, dans l'univers, toute les formes de mouvement ont un facteur commun, l'énergie. Dans le problème de savoir si l'énergie est une réalité physique ou seulement une fonction au moyen de laquelle est décrit l'état d'un système, "le premier des énergéticiens", comme allait l'affirmer W. Ostwald, à savoir Robert Mayer, envisagea l'énergie comme une forme de la réalité à côté de la matière, si bien qu'on peut dire que R. Mayer est le premier à nous avoir fait rencontrer le dualisme matière-énergie.

Lord Kelvin considérait qu'à chaque état d'un corps correspond une certaine valeur d'énergie et inversement, à chaque valeur d'énergie correspond un certain état. Nous savons aujourd'hui qu'au niveau quantique il est possible qu'à une certaine énergie correspondent plusieurs états physiques, nommés des états dégénérés. Mais la relation entre l'état physique et l'énergie est restée et reste essentielle: à un état physique d'un système correspond une, et seulement une certaine énergie. Si l'énergie dépend de l'état du système, alors l'échange d'énergie qui s'effectue d'un système à un autre dépend seulement de l'état initial et final du système considéré.

L'énergie est-elle un ingrédient fondamental de l'univers, telle que la considérait Robert Mayer, ou seulement une façon de décrire l'état de mouvement de la matière ? Le principe de la conservation d'énergie, véritablement fondamental pour la science structurale et applicable à un système clos, n'affirme rien à ce sujet. On affirme parfois que "l'importance de cette notion (l'énergie) est de se soumettre à la loi de conservation". Même lorsque l'on parle de l'énergie en général, il s'agit toujours d'une certaine forme d'énergie, ou bien de la transformation d'une forme d'énergie en une autre.

Évidemment, le rôle important de la notion d'énergie en science et dans la vie pratique devait conduire également à l'idée de l'universalité ontologique de l'énergie. Après Robert Mayer, une position similaire est prise par J. H. Pointing (1852-1914), l'auteur bien connu d'un important théorème sur l'énergie électromagnétique, considérant l'énergie comme une sorte de substance distincte.

Un pas de plus en avant est fait par Wilhelm Ostwald (1853-1932). Il affirme, en 1890, le principe de l'universalité ontologique absolue de l'énergie: l'ultime réalité du monde est l'énergie dans l'espace et le temps. L'apparition historique de l'énergétique dans la pensée scientifique envisageant le monde peut en effet être tenue pour normale car il fallait bien arriver à vérifier aussi l'hypothèse de l'énergie entrevue comme réalité ultime du monde. Admettant donc la priorité de l'énergie, Ostwald voit l'univers comme une multitude d'énergies qui se manifestent et se modifient dans l'espace et le temps. Il évident que pour Ostwald [1910] l'espace et le temps sont, avec l'énergie, des réalités primordiales. Commentant le dualisme de R. Mayer, il affirme: "le dualisme matière-énergie peut être supprimé étant donné que la notion de matière y est subordonnée. Et plus loin: "la matière ... est une notion superflue"; ou encore: "on peut résoudre de la façon la plus complète en termes d'énergie le problème de la représentation de tous les phénomènes physiques". Il considère donc que la science tout entière peut être unifiée par cette notion. L'esprit lui aussi est une forme d'énergie: "ces deux entités sont de la même espèce, la notion d'esprit se basant sur celle d'énergie". De cette manière, selon Ostwald, peut aussi être résolu le dualisme matière-esprit. Qui plus est, il affirme que la vision énergétique permet de dépasser également les difficultés soulevées par la "mécanique des atomes" qui entravent l'explication des phénomènes psychiques. Tout en n'analysant pas la spécificité des phénomènes énergétiques de la substance vivante, mais en les comparant aux phénomènes énergétiques de la matière non vivante et en concluant directement à l'énergie psychique, laquelle est nerveuse, il considère ces phénomènes comme autant de formes distinctes d'énergie. Il conçoit aussi la conscience comme une forme d'énergie psychique, en quelque sorte similaire aux multiples énergies déterminant un corps vivant. Il affirme: "pour le Mécanisme, entre les phénomènes physiques, qu'il considère comme des phénomènes mécaniques, et les phénomènes psychiques il y a un abîme insurmontable; pour l'Énergétique, au contraire, il y a une relation constante entre les manifestations les plus simples de l'énergie, c'est-à-dire ses manifestations mécaniques, et les manifestations les plus complexes, c'est-à-dire ses manifestations psychiques". Ostwald n'alla guère plus avant que ce type de généralités. Pourtant, à juste titre d'ailleurs, ses idées ont influencé nombre de scientifiques et de philosophes. Elle offrent une base à l'unité de la science par l'énoncé du caractère primordial de l'énergie qu'il s'agisse de la matière, de la vie, de l'esprit, tout est conçu comme des processus énergétiques. Malgré cela, jusqu'à aujourd'hui même, une théorie du monde n'a pu être construite sur des bases énergétiques, la science suivant son propre chemin par la mécanique quantique, la théorie de la relativité et la biologie moléculaire, mais ne réussissant toujours pas à expliquer la vie spirituelle et les phénomènes psychiques.

En 1905, Einstein marque, comme chacun le sait, un moment important dans l'évolution de la science en formulant la relation W = mc2 qui exprime le rapport entre l'énergie W et la masse m d'un corps, c étant la vitesse de la lumière. Cette formule, déduite par voie mathématique dans le cadre de la théorie de la relativité, a eu des confirmations expérimentales dans la balistique des électrons et surtout dans l'énergie nucléaire. La relation établie par Einstein peut être interprétée de deux manières:

  1. il existe un rapport entre la masse et l'énergie parce que toute forme de la matière a de l'énergie;

  2. la masse est un mode de manifestation de l'énergie (interprétation du type Ostwald) et, par conséquent, la matière se réduit à l'énergie.

W = mc2 est remarquable par ceci qu'elle exprime le rôle fondamental de l'énergie qui est, soit une réalité ultime, soit une réalité en tant que propriété accompagnant la matière. Dans la théorie classique de l'énergie, celle-ci étant fonction de l'état du système elle ne peut être définie qu'à une constante arbitraire près. Si l'on considère l'énergie comme fonction des grandeurs d'état du système, il est relativement aisé de déterminer la différence d'énergie entre deux états du système, mais, pour apprécier cette différence, le choix de l'énergie de l'état de référence est arbitraire. En fonction du choix de la constante arbitraire, un système physique peut prendre des états à énergie zéro ou même négative. La théorie classique de l'énergie ne peut établir quelle est l'énergie absolue d'un état de référence. Ceci jette une ombre sur l'énergie envisagée comme réalité ontologique primaire et risque de faire considérer l'énergie comme un concept et une grandeur conventionnels. De ce point de vue, la relation d'Einstein est venue résoudre le problème: elle considère l'énergie comme une réalité fondamentale mais non pas à tout prix la seule ultime réalité.

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De la pensée philosophique roumaine, c'est la théorie énergétique de Stefan Lupascu [1974] que nous allons discuter maintenant. Après qu'il eût construit tout un système de philosophie énergétique, Stefan Lupascu aboutit finalement à une impasse déclarée à laquelle il entrevoit une issue dans la direction d'une philosophie énergétique-informationnelle (comme il apparaît dans l'un de ses derniers ouvrages, dédié à la matière psychique). De son point de vue, la matière psychique est une troisième forme principale d'organisation de l'énergie. Celle-ci, ayant sa propre logique, s'organise en matière non vivante, matière vivante et matière vivante avec système nerveux et activité mentale. C'est ce qui explique aussi la connaissance, mais dans la pensée de Lupascu, se dresse le problème de l'affectivité qui, avoue-t-il, "hante mes recherches et ma pensée". L'affectivité ne peut s'expliquer par le système qu'il a conçu car elle ne peut être expliquée seulement par l'énergie envisagée comme réalité dernière: "Nous sommes alors en présence de deux natures parallèles, celle des existants relationnels, avec leurs complexités énergétiques, et celle des données ontologiques de l'affectivité qui n'ont aucun rapport de nature entre elles, mais sont tout de même liées l'une agissant, pas toujours cependant, sur l'autre". Autrement dit, en tant que réalité ultime, l'énergie ne suffit pas pour nous faire comprendre l'affectivité: "Il semble que n'importe quel existant est un réseau d'événements dynamiques antagonistes et par cela même aptes à systématiser, s'étendant sur une substance ontologique qui se manifeste par l'affectivité".

Voilà qui lui paraît incompréhensible, échappant à la connaissance proprement dite; mais cela ne l'empêche pas de reconnaître qu'il serait peut-être utile de considérer encore un autre substrat ontologique à côté de l'énergie. Quelque fois aussi, il lui semble que tout pourrait bien n'être que cette substance ontologique de l'affectivité, quoique, suivant son système ontologique, cela mènerait à "une énigme insondable", d'où sa conclusion: "Il semblerait que c'est l'affectivité qui conduit l'être à l'énergie, sans que l'on comprenne en fin de compte pourquoi".

Bref, avec de pareilles réflexions, Lupascu mit en pièces son propre système: après avoir tout réduit à l'énergie, il en vint à ajouter lui-même quelque chose de plus à cette énergie entrevue comme réalité ultime.
Il faut dire que, dans sa jeunesse, Lupascu voyait l'affectivité comme ayant sa propre nature: "Que l'affectivité soit ressentie comme quelque chose de propre, d'irréductible à quelque chose d'autre, voilà qui est indiscutable". Bien mieux, il affirmait que "jamais, telle hypothèse n'a effleuré l'esprit humain", à savoir que "l'affectivité réclame une nature autonome", qu'entre l'état de conscience et l'état affectif il existe un hiatus absolu quant à leur nature". Il considérait donc déjà que l'affectivité provient d'une nature ontologique distincte. De la sorte, "le non-être, loin de représenter le néant, est une réalité pourrait-on dire absolue en son genre".

Dans quelle direction tente-t-il de dépasser sa propre théorie énergétique ? Ainsi qu'il ressort de [Lupascu, 1974], il se dirige vers un facteur spécifique du monde mental. Dans cette situation, il aurait pu fort bien faire marche arrière, reprendre son raisonnement à rebours pour aboutir à une reconstruction (évidemment si la notion d'information, à l'heure où il posait les bases de sa philosophie, avait pu influencer sa pensée, ce qui historiquement n'est pas possible) où deux facteurs doivent participer à l'explication du monde, l'un énergétique, l'autre informationnel, sans exclure cependant la matière qui les contient. Parce qu'il ne recourt pas à l'information, Lupascu cherche les détails d'organisation de la matière dans la logique de l'énergie. Mais la logique contradictoire de l'énergie n'est-elle pas aussi information? Du reste, lui-même l'affirme: "Cette logique de l'énergie, que j'ai formalisée, se suffit à elle-même, même s'il n'y avait pas d'énergie au monde (C'est pourquoi il s'agit d'une logique. Les faits eux-mêmes l'ont mise en évidence)". Mais pourquoi concevoir une logique indépendante de l'énergie quand celle-ci est par essence énergétique? Au fond, cette réflexion illustre la relative indépendance de l'information dans le monde matériel.

Le système philosophique de Lupascu, sans matière profonde et sans information, est de type non aristotélicien (sans matière et sans forme), postulant l'énergie comme réalité dernière. Pourtant, en développant son système par une confrontation avec la réalité objective, il aboutit à la nécessité d'un substrat ontologique profond ainsi qu'à la nécessité d'une information dans ce substrat, ne serait-ce que sous forme d'affectivité. Autrement dit, il s'est imposé en fin de compte un système du type aristotélicien ou, mieux encore, un modèle du type orthophysique si on rapproche l'affectivité plutôt de l'information phénoménologique que de la forme aristotélicienne. N'ayant pas eu recours à l'information à côté de l'énergie, Lupascu s'est vu forcé de chercher tous les détails du monde dans cette dernière, mais il a débouché sur une impasse à laquelle il n'a pas trouvé d'issue dans une pensée purement énergétique, ce qui fait que l'impasse s'est maintenue jusqu'à la fin dans sa philosophie.

Il est intéressant de constater que chez lui l'énergie primaire n'a pas une grandeur certaine: "moi aussi j'ai démontré qu'elle ne peut être ni finie, ni infinie" et il affirme plus loin: "la quantité finie d'énergie comme d'ailleurs aussi son homogénéité fondamentale n'ont que la valeur inductive des calculs de la physique macroscopique classique". Dans son dernier ouvrage [1986], et bien qu'il maintienne son point de vue antérieur (à savoir: "l'énergie, à laquelle depuis la fameuse découverte d'Einstein n'importe quoi se réduit"), Lupascu apporte une série d'affirmations neuves. Parmi celles-ci, l'idée d'une énergie primordiale du type nucléaire-psychique et, davantage encore, l'idée de l'existence de la connaissance dans l'énergie: "La connaissance n'est pas l'oeuvre unique du cerveau humain, elle existe en toute matière ...". Cela équivaut à affirmer indirectement la présence de l'information dans la matière et le fait d'attribuer une nature "psychique" à l'énergie trahit la nécessité de l'information déjà dans l'énergie primordiale: "le noyau atomique est en quelque sorte psychique ... et dans ces conditions le fondement des choses est psychique". L'énergie commence donc déjà, pour Lupascu, à être une espace de matière-énergie, les trois types de matière étant chacun de la matière-énergie. Il lui prête des facultés cognitives: "Ce n'est pas mon cerveau qui connaît, c'est l'énergie qui connaît en moi. Son état est tel qu'elle acquiert elle-même une conscience de soi".
On constate donc chez Lupascu certaine tendance à admettre une triade matière-énergie-information dans laquelle l'énergie est le facteur essentiel, mais qui, selon lui, ne peut contenir que de l'information cognitive, et non pas de l'affectivité.

Après Wilhelm Ostwald, Stefan Lupascu reste probablement le second grand philosophe énergétiste du monde. Mais, précisément parce qu'il a tente de construire une théorie plus élaborée, il s'est heurté aux difficultés de la philosophie énergétique, et il les a reconnues ouvertement.

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Les analyses ci-dessus portent à conclure que même si l'universalité de l'énergie est insoutenable, elle est d'une telle importance qu'elle se présente comme une réalité ontologique. Le mouvement physique dans l'univers s'accompagne toujours d'énergie et n'importe quel corps de l'univers contient de l'énergie, laquelle provient de la matière. S'il existe une matière profonde, alors celle-ci doit nécessairement être aussi source d'énergie. Ainsi, le principe de l'universalité ontologique de l'énergie (principe V) s'impose naturellement.Dans notre modèle, l'énergie de l'univers provient de l'énergie profonde de l'orthomatière. Il convient d'établir une certaine distinction entre énergie profonde et énergie, la première n'est pas liée à la masse, n'étant pas encore incorporée dans une substance (ou dans un champ). La substance est le résultat du couplage de l'orthomatière avec l'informatière. L'espace est aussi une substance formée d'orthomatière et d'informatière; il contient donc de l'énergie profonde et de l'information, mais n'a pas de masse et, par conséquent, ni d'énergie au sens usuel.

L'une des critiques à l'adresse de l'orthophysique, que je considère d'ailleurs fondée en partie, est qu'elle donne trop d'importance à l'information, au détriment de l'énergie. La critique est également justifiée en ce qui concerne les manifestations énergétiques dans l'univers, particulièrement celles qui ont trait aux organismes vivants. Pourtant, même si jusqu'à présent elle a relégué au second plan ces aspects, l'orthophysique n'est pas exclusivement une discipline de l'information, comme était exclusive la théorie énergétique. L'orthophysique reconnaît les principes de l'universalité et de l'autocohérence de la matière, de l'universalité de l'information, et de l'universalité de l'énergie. Sous des formes spécifiques, matière, énergie, information se retrouvent tant dans la matière profonde que dans la substance de l'univers.

Quant à l'énergie profonde, vu l'absence de mesure et de métrique dans la matière profonde, il est normal que cette propriété énergétique appartenant à l'orthomatière soit considérée comme indéfinie quantitativement. L'énergie profonde n'acquiert de la mesure que dans un univers, et en même temps que ce dernier se crée.

La conservation de l'énergie dans l'univers peut être considérée de plusieurs manières:

  1. dans l'univers clos, compte tenu de l'espace usuel;

  2. dans l'univers clos, compte tenu non seulement de l'espace usuel mais aussi des espaces sous-jacents à celui-ci;

  3. dans l'univers ouvert sur la matière profonde.

Les lois de conservation de la masse, de l'énergie et autres grandeurs physiques ne sont valables que dans les cas (a) et (b). Dans le cas (c) le problème de la conservation d'énergie dans l'univers reste posé.

Le principe de l'accroissement de l'entropie, et donc de la détérioration de l'énergie, est applicable seulement à un univers qui n'opère pas d'échanges avec la matière profonde, donc à un univers clos. La présence des organismes implique un univers ouvert sur la matière profonde, il n'est cependant pas exclu qu'un univers purement physique ait aussi des échanges avec la matière profonde. Un physicien, tel David Böhm [1957], manifeste des réserves quant à la validité de la théorie de Clausius sur la mort thermique de l'univers. Il affirme: "De nouvelles sources d'énergie provenant du processus infini du devenir pourraient aussi bien être disponibles même si les atomes, les molécules etc. continuent toujours à exister". En d'autres termes, avant que l'univers ne se décompose, et tant qu'il est encore constitué d'atomes molécules et corps, il sera toujours possible de trouver dans la nature de nouvelles sources d'énergie capables de contribuer à son maintien. C'est précisément le point de vue de l'orthophysique.

David Böhm [1987] énonce le postulat de l'existence d'un substrat de l'univers qu'il imagine comme une immense mer d'énergie où, selon un ordre conséquent, a lieu un mouvement qui inclut de façon unitaire les principes physiques autant que ceux de la vie: "En effet, le mouvement ... est le fondement tant de la vie explicite que de la matière inanimée, et c'est ce fondement qui est primaire, autoexistant et universel. De la sorte, nous ne séparons pas la vie et la matière inanimée ...". Le big-bang s'explique ainsi par le mouvement: "dans l'immense écran d'énergie cosmique, (le mouvement) créant brusquement une pulsation d'onde de laquelle est né notre univers". Et David Böhm de considérer que les trous noirs ont un rapport avec le fond cosmique de l'énergie. Ainsi, Böhm et Lupascu admettent l'existence d'un fondement énergétique unique de la matière inanimée et de la matière vivante. Il existe certes des différences entre la pensée de Böhm et celle de Lupascu, mais au bout du compte, les deux se montrent insatisfaits du point de vue exclusivement énergétique, Böhm [1986] devant faire place aux significations et à un ordre conséquent, et Lupascu à un substrat supplémentaire ontologique expliquant l'affectivité.

Du moment que l'orthomatière est une source d'énergie indéfinie que nous appelons énergie profonde, cette énergie ne peut ni se manifester, ni se modifier, ni se dégrader d'elle-même. Inversement, pour la science structurale, l'énergie de l'univers se conserve et se détériore. L'univers structural clos est entropique. Pour la science structurale-phénoménologique, au contraire, l'énergie de l'univers peut ne pas se conserver parce que l'univers même est structural-phénoménologique. La loi de conservation de l'énergie demeure valable pour des systèmes physiques structuraux clos, pour lesquels reste valable aussi le principe de l'accroissement d'entropie. Inversement, la science structurale-phénoménologique considère que des effets anti-entropiques absolus sont possibles dans l'univers. Rappelons au passage que des effets anti-entropiques locaux sont reconnus comme possibles par la science structurale, mais dans les organismes vivants. Ceux-ci s'organisent et diminuent leur entropie compte tenu de la croissance de l'entropie du milieu où ils vivent. Mais, en est-il toujours ainsi? En principe, il pourrait exister deux modes de fonctionnement des êtres vivants: un mode structural qui ajuste rigoureusement la croissance d'entropie dans l'ensemble organisme-milieu avec la diminution de l'entropie interne de l'organisme; un mode structural-phénoménologique capable de créer une certaine énergie suivant le trajet: information Æ significations phénoménologiques Æ couplage avec l'orthomatière Æ génération de particules munies de l'énergie profonde "infiniment" disponible, ces particules étant organisées en quelque sorte aussi autour de d'organisme vivant. Dans ce dernier cas, la compensation thermodynamique n'est plus aussi certaine, ce qui signifie qu'il est possible que des effets anti-entropiques absolus se manifestent.

Le principe de l'universalité ontologique de l'énergie embrasse des manifestations énergétiques reconnues par la science contemporaine, de même qu'il laisse ouvertes des virtualités énergétiques que les recherches de demain étudierons parce que, justement, l'énergie est un ingrédient primordial du monde matériel.


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