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Section 3.6

Principe des tendances du devenir
principe (VI)




La matière profonde est gouvernée par les lois générales de son comportement phénoménologique. La principale de ces lois paraît être de produire des univers et d'obtenir une grande variété de phénomènes informationnels. Elle s'exprime par le phénomène informationnel "exister en soi, de soi, au-dedans de soi". Mais exister "de soi" et "au-dedans de soi" signifie également devenir, ce qui veut dire que l'existant suppose le devenir ou est aussi un devenir. L'existant est donc matière et devenir, ou bien matière en devenir. Autrement dit, le principe des tendances du devenir en tant que loi générale de la matière, est un principe universel (VI). L'application de ce principe peut être envisagée dans la matière profonde comme dans un univers.

Dans le premier cas, nous venons de dire qu'il se manifeste parla tendance à produire des univers. Ainsi,

le phénomèneinformationnel "exister" de soi, au-dedans de soi, estune loi tendancielle de la matière profonde

(principeVI, a)

ce qui indique non seulement la tendance de cette dernière à se déployer de soi mais aussi à revenir au-dedans de soi, ce qui provoque un enrichissement des phénomènes informationnels.

Passant maintenant au niveau de l'univers,

la loi tendancielle"de soi, au-dedans de soi" se transpose en tendanced'un anneau du monde matériel.

(principe VI, b)

misen évidence par les aspects suivants:
la tendance du devenir cosmique de l'univers,

(principe VI, c)

qui, en essence, est de créer un univers nouveau;
la tendance du devenir historique ou tendance historique de la société,

(principe VI, d)

la tendance du devenir humain.

(principe VI, e)

La tendance cosmique de l'univers (VI, c) ne s'accomplit pas par déterminisme mais par un amalgame de déterminisme, d'heuristique et de création. D'ailleurs, ne s'agissant que d'une tendance, il n'est même pas certain qu'elle arrive à s'accomplir en réalité. Il suffit cependant qu'un univers produise des phénomènes informationnels dans la matière profonde pour que les lois tendancielles (VI, b) et, implicitement, (VI, a) soient satisfaites. Si, toutefois, l'univers n'atteint pas le stade d'un anneau du monde matériel, mais se maintient au stade d'une ébauche d'univers, il contredit alors la tendance fondamentale (VI, a), et il est destiné à disparaître.

La loi tendancielle (VI, c) du devenir cosmique de l'univers soulève une série de problèmes. En premier lieu, pourquoi ne peut-elle s'accomplir par déterminisme? Mais alors pourquoi prend-elle aussi la forme de lois déterministes (strictes ou probabilistes)? S'il s'agit de lois probabilistes, le devenir cosmique de l'univers comporte-t-il diverses probabilités pour différentes finalités du devenir?

En principe, la réalisation déterministe n'est pas possible, même si l'univers est gouverné en priorité par des lois déterministes, parce que les lois tendancielles de la matière profonde ont, en permanence, leur mot à dire dans l'univers au travers des organismes vivants ouverts sur l'informatière. En effet, l'univers est soumis à l'action des lois déterministes mais, également, ne cesse de subir par l'entremise des organismes vivants l'action des lois tendancielles de l'informatière et, en plus, celle des lois sociales engendrées par les organismes vivants. Ce genre de lois n'est pas apparu avec la naissance de l'univers lorsque se sont constituées les lois déterministes, mais seulement comme une conséquence de l'évolution des organismes vivants.

Il n'est pas impossible qu'avec l'expansion de la vie dans l'univers, les lois tendancielles finissent par acquérir une importance toujours plus grande dans le devenir cosmique de l'univers, par rapport aux lois déterministes.

Pour résumer, disons que la tendance cosmique de l'univers met en action des lois déterministes et des lois tendancielles. L'évolution biologique est une conséquence de la tendance cosmique de l'univers et représente un processus structural-phénoménologique. L'évolution informationnelle de la culture, de la technologie, des arts et de la connaissance est aussi une conséquence de la tendance cosmique de l'univers. Du fait que dans la matière rien ne saurait échapper au tendanciel, il s'ensuit que n'importe quelle manifestation indéterministe ne peut être qu'une conséquence des lois tendancielles.

De même que la naissance d'un univers, à partir de la matière profonde, est un processus indéterministe, mais qui obéit à la loi fondamentale tendancielle, de même l'heuristique phénoménologique d'un organisme est aussi un processus indéterministe obéissant à cette loi. Dans l'évolution biologique, comme dans le comportement d'un organisme, intervient également un facteur indéterministe, leur caractère tendanciel se manifestant par l'agencement déterministe-indéterministe du processus d'évolution ou de comportement de l'organisme. Ce qui prédomine dans tous ces processus, c'est le caractère tendanciel, et non le déterminisme, parce que le déterminisme même est subordonné aux lois tendancielles.

Le seul cas distinct est celui des phénomènes conscients de créativité et de création. Prenons l'exemple de l'homme comme étant le plus évident. L'homme peut agir en automate probabiliste ou bien de manière heuristique structurale, ou encore heuristique phénoménologique (c'est à dire créative). Parce que l'homme est conscient et créatif, il a la possibilité de s'insérer ou non dans la tendance cosmique de l'univers. Son libre-arbitre, cependant, est une propriété générale qui atténue le facteur déterministe de son comportement. Ce comportement indéterministe conscient se transmet aussi à la société. Le mode le plus élevé de ce comportement est la création. Cependant, en fin de compte, la création elle aussi satisfait à l'exigence de la tendance cosmique de l'univers, car la génération même d'un univers nouveau est un acte créateur. La création est donc une conséquence de la tendance cosmique de l'univers.
Les considérations ci-dessus font ressortir

le caractèreprimordial des lois tendancielles dans le monde matérielpar rapport aux lois déterministes.

(principe VI, f)

Jusqu'à présent, la science structurale n'a accordé attention qu'aux seules lois déterministes. C'est maintenant à la science structurale-phénoménologique de montrer que même ces lois sont des conséquences de la manifestation des lois tendancielles. Selon la conception structurale-phénoménologique tout processus a, naturellement, une cause. L'indéterminisme est aussi une forme de manifestation de la causalité du moment qu'un processus indéterministe est l'effet d'une loi tendancielle. Le phénomène informationnel fondamental "exister en soi, de soi, au-dedans de soi" constitue la cause de l'apparition indéterministe de phénomènes informationnels dans la matière profonde. La causalité n'est pas synonyme de déterminisme. Dans le monde matériel il n'y a pas d'autre indéterminisme que le causal. Sans une profonde compréhension de la causalité, la science devrait se limiter au structural seulement et ne plus même essayer d'aborder les domaines structuraux-phénoménologiques.

Il y a une dizaine d'années, un rapport [Staff Report, 1981] sur le présent et l'avenir de la science précisait: "Les apports scientifiques des derniers trois siècles, fussent-ils objectifs et déterministes ou dans la perspective cause/effet, sont de plus en plus perçus comme insuffisants pour résoudre les problèmes sociaux, technologiques, de milieu environnant, économiques et politiques". Et, plus loin, en suggérant des voies de recherche nouvelles: "Ces caractéristiques neuves ne doivent pas être entrevues comme remplaçant les apports vérifiés et véritablement newtoniens, ou mécanistes, qui sont nécessaires à une société industrielle. Ces caractéristiques représentent plutôt des (voies) additionnelles aux apports connus et elles peuvent devenir dominantes dans l'avenir". Elles portent, explique ce rapport, sur des aspects intégraux, subjectifs, individuels ou sociaux, sur des valeurs, des activités dirigées vers certaine finalité. Il s'agit en fait d'un propos envisageant l'extension de la science mais n'exprimant que des observations prudentes. Dans ce contexte, l'extension la plus large à imaginer est d'entreprendre le passage à une science structurale-phénoménologique en même temps que la révision de la notion de causalité laquelle ne peut plus aujourd'hui être reliée au seul concept de déterminisme.

Dans notre optique structurale-phénoménologique,

la causalité est une conséquence du principe des tendances du devenir.

(principe VI, g)

L'existant étantaussi devenir, il faut donc trouver à tout et une cause et des principes premiers. N'importe quel devenir est, directement ou indirectement, un devenir issu d'une tendance. Devenir tendance sans une cause préalable est absurde. L'acceptation du principe des tendances du devenir signifie implicitement l'acceptation du principe de causalité. S'il n'existe pas de causalité, il n'existe pas de devenir non plus. Le devenir est aussi, de ce fait, une causalité.
La causalité n'est pas à tout prix lié au temps. Elle agit dès avant même que naisse le temps d'un univers. Une fois le temps déclenché, elle se manifeste dans le temps. Dans une intéressante analyse de la causalité, Perminov (1979) ne relie pas la causalité au temps: "La notion de causalité se rapporte avant tout à l'ordre dynamique des événements, au rôle actif qu'ont dans le monde certains objets, les uns vis-à-vis des autres ... le lien causal ne se résume pas à la régularité temporelle des événements, il ne s'identifie pas avec l'idée de relation entre états ... La connexion causale est fondé sur la notion de produire (d'engendrer) ...". Et plus loin: "Le fait de produire est la seule exigence obligatoire imposé à la connexion causale. Toutes les autres exigences émises à titre de besoins nécessaires et universels ne sont pas en réalité ce qu'elles prétendent être: elles ne font que refléter le caractère spécifique de la relation causale en telle ou telle situation".

Produire (engendrer) des phénomènes informationnels est un phénomène causal bien qu'absolument fortuit, indéterministe. Dans l'univers, le déterminisme et l'indéterminisme coexistent, les deux étant gouvernés par les lois générales du devenir et, en conséquence, par la causalité. Le déterminisme s'exprime à travers des procédés formels, alors que l'indéterminisme est informel, n'obéit pas à des règles. Le déterminisme et l'indéterminisme sont complémentaires, ainsi que le soutient aussi Perminov en généralisant le principe de la complémentarité de Niels Bohr. L'un comme l'autre reflètent les mêmes lois tendancielles de base. Le formel et l'informel, c'est à dire le déterminisme et l'indéterminisme, sont également complémentaires et ont à l'origine les mêmes lois tendancielles. Tout en partant d'une science structurale et d'un modèle clos de l'univers, Perminov aboutit aux conclusions suivantes: "La complémentarité n'entre pas en conflit avec l'objectivité de la connaissance ...; elle dissipe seulement l'idéal rationaliste d'une connaissance circonscrite à un système unitaire et cohérent du point de vue logique". En fait, il faut une raison encore plus rationnelle pour arriver à embrasser la réalité formelle-informelle de l'univers dans sa totalité et la comprendre dans le contexte de la matière profonde.

Quant à la tendance historique de la société (VI, d), celle ci, comme nous l'avons déjà dit, doit être comprise à la lumière de la tendance cosmique de l'univers (VI, c), dans le cadre plus général de la tendance d'un anneau du monde matériel (VI, b). L'acte cosmique de la création d'un univers nouveau ne saurait être réalisé que par une société intergalactique qui suppose une société nouvelle sur la Terre, une société de la connaissance et de la création. À la lumière des autres tendances, celle du devenir humain (principe VI, e) ne peut être que la tendance d'un devenir philosophique de chaque individu car "n'importe quelle conscience, si elle est conséquente, doit devenir une conscience philosophique". Ce devenir qui suppose le passage d'une conscience ordinaire à une conscience philosophique peut être accompli par un sentiment cosmique d'une spiritualité philosophique et par un sage équilibre avec les tendances en soi et de soi de l'individu.


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